Matthieu Tardif
Résumé
Dans les années 1680-1690, la Nouvelle-France semble acculée. Le désastre de Lachine en 1689 souligne la faiblesse de l’impérialisme français et le décrédibilise aux yeux de ses alliés autochtones. Le secteur des fourrures est quant à lui entré dans une crise de surproduction, dopé par une réglementation qui impose aux détenteurs du monopole du castor d’acheter toutes les fourrures qui leur sont apportées à Québec, y compris celles de piètre qualité. Dans ce contexte, Versailles aurait intérêt à ralentir la traite tout en assurant le soutien militaire de ses alliés, notamment celui des Illinois qui sont aux prises avec les Iroquois à l’Ouest. L’opération est cependant difficile tant la diplomatie franco-autochtone est étroitement liée au commerce des fourrures.
La France aurait-elle pu envisager de fournir à ses alliés gratuitement les marchandises dont ils ont besoin? Malgré quelques «dons» ponctuels, Versailles continue de considérer que les Illinois doivent payer en castor alors même qu’il se révèle inutilisable pour les chapeliers parisiens. En apparence contre-productif, ce choix s’explique peut-être en partie par des raisons politiques et idéologiques. Il tient pourtant surtout aux mécanismes mêmes de la politique coloniale française en Amérique du Nord, laquelle dépend d’acteurs locaux qui n’ont pas intérêt à ce que la traite s’arrête. Un fois ce système compris, il est toutefois intéressant de pousser la réflexion plus loin et de s’interroger sur ses conséquences concernant le développement d’une dynamique proto-capitaliste. Incidemment, en favorisant la logique marchande, la raison d’État encourage en effet la formation de nouveaux rapports de production mettant en jeu le couple capital-travail.