Stéphane Roussel
Médérik Sioui
Résumé
Si la société québécoise accorde encore une grande place à la Nouvelle-France dans sa mémoire collective, celle-ci tend à en gommer les aspects militaires. Or les rares images qui en subsistent, que ce soit dans la culture populaire ou dans des travaux spécialisés, devraient nous interroger. C’est notamment le cas de la «petite guerre», une tactique de guérilla employée à l’époque par les miliciens canadiens-français et les Premières Nations. L’interprétation communément admise voudrait que cette façon de combattre soit un emprunt des Canadiens français à la culture stratégique autochtone, lequel aurait donné lieu à une forme de métissage culturel. L’objet de cette communication n’est pas tant de documenter ces emprunts que de problématiser leurs représentations, ainsi que l’usage qui en est fait. Une première question que soulève l’image de «l’héritage autochtone» cherche à déterminer ce qu’en pensent les légataires eux-mêmes. Comment l’histoire de la petite guerre est-elle perçue et racontée dans une perspective autochtone? Les Premières Nations se reconnaissent-elles dans cet «héritage»? La seconde question touche à l’instrumentalisation de «l’héritage autochtone» dans le contexte actuel. Comment la mémoire collective québécoise compose-t-elle avec l’héritage de la petite guerre?
Deux hypothèses non mutuellement exclusives sont proposées ici: celle du «dédouanement» et celle du «métissage». La première admet volontiers que tant en regard de l’éthos militaire européen de l’époque que de l’éthique occidentale contemporaine, ce type de guerre comporte son lot d’atrocités. Toutefois, la mémoire collective de la société québécoise tend à se dédouaner de ces comportements en les associant à «l’héritage autochtone». Il importe donc de déterminer si cette association est fondée et de déterminer comment celle-ci contribue, dans le récit historique, à atténuer la responsabilité des miliciens canadiens de la Nouvelle-France. La seconde hypothèse pose que l’évocation d’une association étroite entre Autochtones et miliciens canadiens participe à la construction du mythe du «métissage», selon lequel les sociétés autochtones et québécoise francophone se sont historiquement amalgamées. Dans ce contexte, le récit de la colonisation est remplacé par celui d’une «alliance» entre «peuples égaux unis contre l’envahisseur anglais», envahisseur à qui on peut attribuer la responsabilité de la marginalisation tant des autochtones que des francophones.