Résumé
Thierry Nootens
Quelle a été la contribution spécifique des tribunaux civils à la construction de la condition ouvrière durant l’apex de la transition au capitalisme industriel? Nous mettrons à contribution 128 causes rapportées par la jurisprudence du milieu du 19e siècle à l’aube de la Première Guerre mondiale. Les conflits relatifs à trois rouages du marché du travail manuel seront examinés de plus près. Ce sont : 1) les conventions unissant patrons et employés; 2) les rapports de pouvoir relevant des embauches; 3) le paiement des salaires, incluant la question – assez mal connue – des privilèges ouvriers, ces hypothèques légales résultant de l’accomplissement de travaux. Nous tiendrons compte également de «l’envers» des montants dus aux ouvrières et ouvriers, soit les saisies exercées à leur encontre. Nous verrons par exemple que l’interprétation des « termes » qui scandent les prestations fournies, termes souvent assimilés aux échéances de paie, structurent un grand nombre de poursuites en vertu d’une logique réduisant à une responsabilité toute temporaire les obligations des patrons envers les travailleurs. Les analyses dévoilent aussi des paradoxes sis au cœur même de la dialectique de dérégulation et de régulation du marché du travail, telle l’idée d’insister sur la catégorisation des travailleurs en groupes détenteurs de droits distincts afin d’obvier aux dérives les plus flagrantes du même marché, en particulier la difficulté à se faire tout simplement payer. Or, ce type de solution bricolée par la législature jure avec le postulat fondamental du libéralisme, soit l’absence nécessaire de distinctions formelles entre cocontractants, gage de leur «liberté».